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Onze hommes accusés d'être impliqués dans le massacre de manifestants pro-démocratie par les forces de l'ex-junte militaire en 2009, et de nombreux viols commis lors de cet incident, photographiés (à droite) lors de leur procès à Conakry, en Guinée, le 28 septembre 2022. © 2022 Souleymane Camara/Reuters

Mise à jour : le 31 juillet 2024, le tribunal a rendu son verdict dans l'affaire du massacre du stade de Guinée en 2009.

  1. Que s’est-il passé le 28 septembre 2009 et les jours qui ont suivi à Conakry, en Guinée ?
  2. Quand le procès historique pour ces crimes a-t-il commencé et pourquoi est-il si important ?     
  3. Combien d’accusés ont été jugés, qui sont-ils et de quoi sont-ils accusés ?            
  4. Quelle est la situation politique actuelle en Guinée et présente-t-elle des risques pour poursuivre les initiatives de justice ?   
  5. Pourquoi les accusés ne sont-ils pas inculpés de crimes internationaux, notamment de crimes contre l’humanité ?        
  6. Quels sont les droits des accusés lors du procès ?                
  7. Quel est le rôle des victimes en tant que parties civiles dans le procès ?
  8. Quels ont été les principaux défis rencontrés lors du procès ?
  9. Quelles sont les sanctions en cas de condamnation ?        
  10. Les victimes recevront-elles des réparations ?        
  11. Le jugement peut-il faire l'objet d'un appel ?           
  12. La population guinéenne suit-elle le déroulement du procès et comment est-elle informée de son évolution ?  
  13. Que s’est-il passé pendant la phase d’instruction de l’affaire et pourquoi a-t-elle duré sept ans ?              
  14. Pourquoi a-t-il fallu attendre cinq ans après la fin de l’enquête pour l’ouverture du procès ?         
  15. Quel rôle la Cour pénale internationale a-t-elle dans la promotion du procès pour ces crimes ?  
  16. Quels efforts d’autres acteurs, en dehors de la CPI, ont-ils entrepris pour favoriser la mise en œuvre de la justice pour les crimes commis en Guinée ?                
  17. Y a-t-il d’autres enquêtes ou procès en cours pour les mêmes crimes en Guinée ?
  18. Comment les acteurs internationaux peuvent-ils soutenir la Guinée dans sa poursuite des initiatives de justice ?                      

Le 28 septembre 2022, les autorités judiciaires guinéennes ont ouvert le procès, longtemps retardé, de 11 hommes – parmi lesquels figurent d’anciens ministres du gouvernement et un ancien président – accusés d’être responsables du massacre en 2009 par les forces de sécurité guinéennes de plus de 150 manifestants pacifiques et du viol de dizaines de femmes dans un stade de Conakry, la capitale. Ce procès est le premier de ce type pour des violations des droits humains de cette ampleur devant des tribunaux nationaux en Guinée.

Human Rights Watch a suivi l’évolution de ce procès historique avec l’aide d’avocats et d’organisations de la société civile locales et internationales, notamment l’Association des Victimes, Parents et Amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), l’Organisation Guinéenne de Défense des droits de l’Homme (OGDH) et la Fédération Internationale des Ligues des Droits Humains (FIDH). Un avocat guinéen a observé des audiences en personne depuis février 2023 et le cabinet d’avocats Borden Ladner Gervais LLP a suivi des audiences en vidéo avant cette date, pour le compte de Human Rights Watch. Le procès s’est terminé le 26 juin 2024 et le verdict est en passe d’être rendu. 

1. Que s’est-il passé le 28 septembre 2009 et les jours qui ont suivi à Conakry, en Guinée ?

Au matin du 28 septembre 2009, plusieurs centaines de membres des forces de sécurité guinéennes ont fait irruption dans un stade à Conakry, la capitale, et ont ouvert le feu sur des dizaines de milliers de partisans de l’opposition qui s’y étaient rassemblés pacifiquement. En fin d’après-midi, au moins 150 Guinéens étaient morts ou mourants dans le complexe du stade et dans ses alentours.

Des corps étaient éparpillés sur le terrain, écrasés contre des barrières entrouvertes, suspendus aux murs et empilés à l’extérieur des vestiaires dont les portes avaient été fermées par les quelques personnes terrifiées qui étaient arrivées les premières. Des dizaines de femmes présentes au rassemblement ont subi des violences sexuelles brutales de la part des forces de sécurité, notamment des viols individuels et collectifs et des agressions sexuelles commises à l’aide d’objets tels que des bâtons, des matraques, des crosses de fusil et des baïonnettes.

Après les violences, les forces de sécurité ont organisé une opération de dissimulation organisée. Elles ont bouclé le stade et les morgues, d’où elles ont retiré des dizaines de corps pour les enterrer dans des fosses communes. Des membres des forces de sécurité qui se sont déployés dans les quartiers où vivait la majorité des partisans de l’opposition ont commis de nouveaux abus, notamment des meurtres, des viols et des pillages. Des membres des forces de sécurité ont détenu arbitrairement des dizaines d'autres partisans de l'opposition, dont beaucoup ont été victimes d'abus graves, y compris de tortures.

Une enquête de Human Rights Watch a indiqué que les meurtres, viols et autres abus commis le 28 septembre et après cette date relèvent de crimes contre l’humanité. Ces exactions ne sont pas le fait d’un groupe de soldats dévoyés et indisciplinés. L’absence de toute provocation apparente de la part des manifestants, combinée à la manière organisée dont les forces de sécurité ont mené l’attaque, à la non-utilisation de moyens non létaux de dispersion de la foule et à la présence de responsables, y compris d’un ministre avec des responsabilités en matière de sécurité, suggère que les crimes ont été prémédités et organisés. Une commission d’enquête internationale est parvenue à des conclusions similaires.

2. Quand le procès historique pour ces crimes a-t-il commencé et pourquoi est-il si important ?

Le procès a débuté le 28 septembre 2022, 13 ans jour pour jour après le massacre dans la capitale Conakry.

L’ouverture du procès, bien qu’attendue depuis longtemps a été une étape importante dans la recherche de justice pour les victimes et leurs familles qui attendent depuis plus de dix ans que les responsabilités de ce massacre soient établies. Ce procès est le premier de ce type concernant des violations de droits humains de cette ampleur en Guinée, bien que le peuple guinéen ait été à maintes reprises victime de violations sous des gouvernements autoritaires et répressifs. Le massacre du 28 septembre, ainsi que les viols et autres abus commis le même jour, figurent parmi les pires épisodes de violence que le pays ait traversés.

Les victimes guinéennes ont demandé à plusieurs reprises que les auteurs de ces crimes rendent des comptes et que la vérité soit faite sur ces événements. Comme l’a expliqué un avocat à Human Rights Watch : « Malheureusement, en tant que société, nous avons accepté que des crimes soient commis. Nous commençons à valoriser les voix des victimes, avec un nouveau type de citoyens qui refusent ce type de crimes et l’impunité. »

Le procès peut offrir des enseignements importants à d’autres pays où la justice doit être rendue pour des crimes graves. Le droit international impose de poursuivre les suspects à propos desquels il existe des preuves suggérant une responsabilité dans des crimes graves, notamment les crimes contre l’humanité. L’obligation de poursuivre incombe avant tout aux autorités nationales. Dans le même temps, poursuivre les crimes d’atrocité au niveau national soulève de nombreux défis, notamment celui d’obtenir un soutien politique adéquat et de disposer des capacités nécessaires pour juger ces crimes.

3. Combien d’accusés ont été jugés, qui sont-ils et de quoi sont-ils accusés ?

Onze hommes sont poursuivis et étaient présents à l’ouverture du procès le 28 septembre 2022, dont un ancien président et plusieurs ministres du gouvernement. Ils sont accusés d’une série de crimes ordinaires en vertu de la loi guinéenne et ont tous plaidé non coupable de tous les chefs d'accusation, selon des documents judiciaires et des informations sur les procédures partagées avec Human Rights Watch et un rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme.

On trouvera ci-après une description des 11 accusés et des crimes qui leur sont reprochés :

Le Capitaine Moussa Dadis Camara, ancien président autoproclamé de la Guinée, occupait les postes de commandant en chef des Forces armées guinéennes et de dirigeant du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) en septembre 2009. Il était le président de la transition et représentait un groupe d’officiers auteurs d’un coup d’état sans effusion de sang en Guinée après la mort du président Lansana Conté. Camara est arrivé au pouvoir en décembre 2008.

Il est accusé de complicité et de responsabilité de commandement pour meurtre, assassinat, viol, agression sexuelle, attentat à la pudeur, coups et blessures volontaires, enlèvement, torture, non-assistance aux victimes du massacre et des événements qui ont suivi, vol, pillage, incendie criminel, vol à main armée et détention illégale d’armes à feu.

Les responsables militaires et civils peuvent assumer la responsabilité pénale du commandement pour les violations commises par leurs subordonnés dans la mesure où ils avaient ou auraient dû avoir connaissance de ces abus mais n'ont pas pris de mesures pour les arrêter ou les punir. Cette notion a été introduite dans le code pénal guinéen en 2016.

Le lieutenant Aboubacar Diakité (plus connu sous le nom de Toumba), aide de camp personnel de Dadis Camara et chef de son service de sécurité personnel, a également commandé la Garde présidentielle, une unité militaire d’élite impliquée dans de nombreuses exactions commises le 28 septembre 2009 et les jours qui ont suivi. Toumba est accusé d'avoir directement commis des coups et blessures volontaires, des viols, des pillages collectifs ou en bande armée, des incendies criminels, des meurtres, des assassinats, des actes de torture et de non-assistance à personne en danger. Il est par ailleurs accusé de complicité et de responsabilité de commandement pour meurtre, assassinat, viol, pillage, incendie volontaire, vol à main armée, coups et blessures volontaires, outrage à agent de la force publique, torture, enlèvement et détention illégale, non-assistance à personne en danger, violence sexuelle, attentat à la pudeur, et détention illégale d'armes à feu.

Cece Rafael Haba, ancien garde du corps de Toumba, Marcel Guilavogui, ancien garde du corps de Dadis Camara, et Moussa Tiégboro Camara, ancien secrétaire d’État chargé de la lutte contre la drogue et le crime organisé, sont tous accusés de complicité de meurtre, d’assassinat, de viol, d’agression sexuelle, d’attentat à la pudeur, et de violences volontaires, d’enlèvement, de torture, de non-assistance aux victimes du 28 septembre, ainsi que de complicité de vol, de pillage, d’incendie volontaire, de vol à main armée et de détention illégale d’armes à feu.

Colonel Claude Pivi, ministre de la Sécurité présidentielle en 2009 sous Dadis Camara, est accusé de complicité d’assassinat, de viol, de torture, de coups et blessures volontaires, et de non-assistance aux victimes, ainsi que de pillage et d’incendie volontaire. Pivi est toujours en fuite après avoir quitté le centre de détention en novembre 2023.

Le colonel Abdoulaye Chérif Diaby, ministre de la Santé en 2009, est accusé de non-assistance aux victimes.

Le Gendarme Mamadou Aliou Keïta est accusé de viol.

Le gendarme Ibrahima Camara (plus connu sous le nom de Kalonzo), et Blaise Gomou, un colonel qui a fait partie des services spéciaux dirigés par Tiégboro, sont accusés de complicité de meurtre et de coups et blessures volontaires, et d’avoir directement commis des viols, agressions sexuelles, attentats à la pudeur, actes de torture, enlèvements, pillages, incendies criminels, vols, vols à main armée, outrages aux forces de l’ordre, et de non-assistance aux victimes et détention illégale d’armes à feu.

Paul Mansa Guilavogui, sergent-chef dans l’armée au moment des faits, est accusé de coups et blessures volontaires, de torture, d’enlèvement et de détention illégale, de non-assistance à personne en danger, de diffamation et d’injure.

Alpha Amadou Baldé, qui était le secrétaire particulier de Toumba Diakité, a également été inculpé et déféré comme douzième accusé par les juges d’instruction en 2017. Baldé n’était cependant pas présent au procès et le 22 mai 2024, lors du réquisitoire, l’accusation a demandé sa condamnation par contumace, c’est-à-dire en l’absence de l’accusé.

S’il était reconnu coupable, Baldé aurait le droit de contester cette décision en vertu du droit guinéen, du fait de son absence lors du procès.

4. Quelle est la situation politique actuelle en Guinée et présente-t-elle des risques pour poursuivre les initiatives de justice ?

Le coup d’État de septembre 2021, organisé par des officiers de l’armée du Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) et dirigé par le colonel Mamady Doumbouya, a chassé l’ancien président Alpha Condé. La junte a remis en cause le respect des droits depuis son arrivée au pouvoir. En mai 2022, le CNRD a interdit les manifestations pour une durée indéterminée et a dissous la coalition de l’opposition guinéenne. Selon des sources médiatiques internationales, le CNRD a traîné des pieds pour assurer la transition vers un régime civil, mais Doumbouya a officiellement accepté, en octobre 2022, d'assurer cette transition avant le 1er janvier 2025. Le colonel Doumbouya a dissout le gouvernement de transition en février 2024 et nommé un certain nombre de nouveaux ministres, dont l'ancien chef de l'opposition guinéenne, Mamadou Oury Bah, qui a été nommé Premier ministre.

En 2023, selon des sources médiatiques internationales, plusieurs manifestations d’opposition à la junte à Conakry et des manifestations à plus petite échelle dans tout le pays ont entraîné la mort de civils et des arrestations aux mains des forces de sécurité de l’État. De nombreuses manifestations ont été menées par les Forces Vives de Guinée, une coalition d’acteurs de la société civile et de partis politiques réclamant principalement la libération des prisonniers politiques, la levée de l’interdiction de manifester et l’ouverture d’un dialogue politique.

En juillet 2024, les forces de sécurité ont détenu arbitrairement trois membres de la coalition d’opposition, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), et les ont transférés dans un lieu non révélé. Les autorités n’ont toujours pas reconnu leur détention ni révélé le lieu où ils se trouvent. Une telle pratique s’apparente à une disparition forcée au regard du droit international.

Amnesty International a documenté la répression systématique des manifestations entre 2019 et 2024, qui a fait plus d’une centaine de morts et des centaines de blessés graves, dont des enfants, qui ont été privés d’accès à des soins de santé adéquats, à la justice et à des réparations.

Le soutien des autorités guinéennes à la justice pour le massacre du 28 septembre 2009, les viols et autres abus devrait se poursuivre. Ce soutien devrait s’inscrire dans le cadre de mesures plus larges visant à garantir le respect des droits humains, notamment la levée de l’interdiction des manifestations publiques et de la dissolution de l’opposition. Un retour à un régime démocratique et des procès pour d’autres crimes graves, tels que les meurtres et autres abus commis en réponse aux manifestations nationales de 2007, sont nécessaires.

5. Pourquoi les accusés ne sont-ils pas inculpés de crimes internationaux, notamment de crimes contre l’humanité ?

Bien que les crimes contre l’humanité aient été incorporés dans le Code pénal guinéen en 2016, les accusés ne sont pas poursuivis pour crimes contre l’humanité ou autres crimes internationaux. Les juges qui ont mené l’enquête préliminaire se sont abstenus de qualifier les crimes de crimes contre l’humanité quand ils ont décidé de renvoyer l’affaire en procès.

Le 4 mars 2024, néanmoins, le représentant du parquet, El Hadj Sadiki Camara, a demandé aux juges de requalifier les chefs d’accusation en faisant valoir que cette requalification était autorisée par le code guinéen de procédure pénale.

Les parties civiles, nom que l’on donne aux victimes ayant qualité pour agir dans l’affaire, ont soutenu la demande du parquet. L’avocat de la défense a contesté cette requalification, arguant qu’elle conduirait à une application rétroactive de la loi, puisque les crimes contre l’humanité ont été incorporés dans le droit guinéen après que les actes en question ont prétendument été commis. Le parquet et les parties civiles ont toutefois souligné que la Guinée avait ratifié le statut de la Cour pénale internationale en 2003 et argué que, du fait de cette ratification, les crimes contre l’humanité faisaient déjà partie des obligations juridiques internes de la Guinée à l’époque.

Au cours des plaidoiries, tant les parties civiles que le parquet ont demandé des condamnations pour crimes contre l’humanité.

Les avocats de la défense ont fait valoir qu’une décision de requalification au moment du verdict violerait les droits des accusés à un procès équitable, en leur ôtant la possibilité de se défendre contre ces nouvelles accusations.

Le 20 mars, les juges ont décidé qu’ils se prononceraient sur la demande de requalification des chefs d’accusation au moment de rendre leur verdict.

6. Quels sont les droits des accusés lors du procès ?

Le Code de procédure pénale guinéen prévoit la protection des droits internationalement reconnus des accusés, notamment la présomption d’innocence, le droit de garder le silence, le droit d'avoir un interprète sans frais, et le droit à un avocat.

Le procès s'est déroulé en français et le tribunal a fourni des interprètes.

Une loi visant à faciliter l'accès à un avocat lorsque les accusés n'ont pas les moyens de payer a été adoptée en septembre 2022. Tous les accusés sont représentés par un avocat. Deux des accusés, Paul Mansa Guilavogui et Mamadou Aliou Keita, sont représenté par un avocat commis d’office et tous les autres ont eu accès à leur propre avocat.

Le 29 mai 2023, le procès a été suspendu en raison d’un boycott des avocats de la défense, après que les avocats ont demandé une aide financière pour leur travail au vu des ressources limitées dont disposent leurs clients (et bien que ceux-ci ne soient pas non plus indigents) et de « l’ampleur des tâches, la complexité du procès et le temps consacré à celui-ci ». Après plusieurs semaines de négociations entre le ministère de la Justice guinéen et les avocats, le boycott a été interrompu.

La reprise du procès semble avoir été rendue possible par le fait que le ministère de la Justice a accepté d’essayer de mettre une aide financière à la disposition des avocats. Le barreau guinéen a contribué à faciliter les négociations et pourrait aider à faire en sorte que les avocats concernés puissent obtenir l’aide que le gouvernement rendra disponible.

La loi guinéenne sur la procédure pénale prévoit également le droit de disposer de suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense, le droit à un procès équitable, le droit de ne pas être détenu arbitrairement, celui d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial dans le cadre d’une audience publique, le droit d’interroger des témoins et des experts, celui de bénéficier gratuitement des services d’un interprète et celui de faire appel.

Cinq des accusés ont fait l’objet d’une détention préventive prolongée, y compris au-delà des limites légales prescrites par le loi guinéenne sur la procédure pénale : Cece Rafael Haba et Marcel Guilavogui sont détenus depuis 2010, Mamadou Aliou Keïta depuis 2013, Paul Mansa Guilavogui depuis 2015, et Aboubacar « Toumba » Diakité, qui a été arrêté au Sénégal en décembre 2016 puis extradé vers la Guinée, depuis 2017.

La veille du procès, le 27 septembre 2022, six autres accusés ont été arrêtés : Moussa Dadis Camara, qui vivait en exil au Burkina Faso et était rentré quelques jours plus tôt, Moussa « Tiégboro  » Camara, Claude Pivi, Abdoulaye Chérif Diaby, Ibrahima «  Kalonzo  » Camara et Blaise Gomou.

7. Quel est le rôle des victimes en tant que parties civiles dans le procès ?

Des centaines de victimes se sont jointes à l’affaire en Guinée en tant que « parties civiles », une caractéristique des systèmes de droit civil qui permet aux victimes d'être officiellement parties à la procédure, aux côtés du procureur et de l'accusé, sans être des témoins. Les parties civiles peuvent, par l’intermédiaire de leurs avocats, examiner le dossier et y déposer des observations, interroger les témoins et les accusés, présenter des arguments aux juges et demander des réparations.

La FIDH, l’OGDH et l’AVIPA se sont constituées parties civiles aux côtés de plusieurs centaines de victimes des crimes à partir de 2010, et d’autres victimes les ont rejoints au fil du temps. D’autres victimes encore se sont constituées parties civiles et sont représentées par au moins une douzaine d'autres avocats, y compris en lien avec d'autres associations et organisations de survivants, selon deux avocats impliqués dans le procès. Il s'agit notamment de l'Association des Familles et Amis des Disparus du 28 septembre 2009, ainsi que de l'Association des femmes et filles violées au stade.

8. Quels ont été les principaux défis rencontrés lors du procès ?

Ce procès a franchi une étape après l’autre au cours des dix-huit derniers mois, et ce en dépit de difficultés considérables, notamment des inquiétudes quant à la sécurité des victimes et des témoins à la suite d’un incident d'évasion de la prison, et le manque de soutien financier de la part des partenaires internationaux.

Sécurité et protection des victimes et des témoins

Le 23 septembre 2022, quelques jours avant le début du procès, la Guinée a adopté une loi sur la protection des victimes, des témoins et des personnes à risque. La loi n’a pas encore été mise en œuvre, mais des organisations guinéennes de défense des droits humains, notamment l’AVIPA et l’OGDH, ont appelé à l’adoption d’un décret d’application de cette loi.

La sécurité est une question centrale, compte tenu du caractère sensible des accusations et de la notoriété des accusés. Le gouvernement guinéen a déployé des centaines d’agents de sécurité autour des lieux du procès afin de garantir la sécurité tout au long du procès. En décembre 2022, un homme a été condamné pour avoir proféré des menaces en ligne à l’encontre de l’un des procureurs.

Même si le gouvernement a mis à la disposition des victimes des moyens de transport pour se rendre au procès, selon un représentant de la société civile, certaines victimes ont fait part de leurs inquiétudes pour leur sécurité à l’idée de les utiliser, car il était étiqueté comme moyen de transport pour le procès.

Le 4 novembre 2023, après que quatre accusés de haut rang, dont l’ancien président Dadis Camara, aient quitté le centre de détention avec les forces armées, les victimes et les survivants qui avaient témoigné au cours du procès ont publiquement exprimé leurs préoccupations quant à leur sécurité pendant que les accusés étaient en liberté. Les avocats qui ont participé à la procédure ont eux aussi fait état de menaces pour leur sécurité.

Même si trois des accusés sont retournés en détention le jour même, le fait que Claude Pivi soit toujours en liberté a amené les médias à souligner que, du fait de craintes liées à leur sécurité, plusieurs témoins avaient renoncé à témoigner. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier ces informations.

Les autorités guinéennes devraient renforcer les mesures de sécurité autour du prononcé du verdict afin de garantir la sécurité des victimes et des témoins, en particulier ceux qui ont témoigné au cours du procès.

Manque de soutien financier de la part des partenaires internationaux

Malgré les inquiétudes concernant les ressources disponibles exprimées par les organisations de la société civile guinéenne participant en tant que parties civiles au procès, le gouvernement guinéen a financé le procès. L'UE et les États-Unis se sont engagés à offrir un soutien financier au procès, mais le soutien financier fourni semble provenir de l'Union européenne et du Royaume-Uni uniquement pour soutenir les organisations de la société civile participant en tant que parties civiles. Ainsi qu’une contribution du gouvernement autrichien, selon des informations publiées dans les médias.

9. Quelles sont les sanctions en cas de condamnation ?

En cas de condamnation, les peines potentielles pour les crimes ordinaires encourues par les 11 accusés vont de 16 jours d’emprisonnement à la prison à perpétuité, et d’une amende de 500 000 à 5 000 000 de francs guinéens (environ 57$ à 575$). La Guinée a supprimé la peine de mort en 2016.

En vertu du Code pénal guinéen, les personnes complices de crimes sont passibles de la même peine que l’auteur de ces crimes. Dadis Camara et son aide de camp personnel Aboubacar « Toumba » Diakité sont accusés de la responsabilité directe, de complicité de crimes, et de responsabilité de commandement.

Dans l’éventualité d’une requalification des chefs d’accusation de crimes ordinaires en crimes contre l’humanité, la peine maximale potentiellement encourue par les accusés – la réclusion criminelle à perpétuité – resterait la même en vertu du code pénal guinéen.

Dans son réquisitoire, le parquet a demandé aux juges d’inculper neuf des accusés pour des crimes contre l’humanité tels que le meurtre, l’assassinat et la torture, ainsi qu’en vertu du principe de la responsabilité du commandement, entre autres. Le parquet a également demandé que les trois autres accusés soient inculpés pour les crimes contre l’humanité de viol et de torture.

La demande de condamnation a été suivie par des demandes de peines de prison à vie à l’encontre de sept des accusés :  Moussa Dadis Camara, Moussa Tiégboro Camara, Blaise Gomou, Abdoulaye Chérif Diaby, Marcel Guilavogui, Alpha Amadou Baldé et Claude Pivi. Le parquet a également requis des peines de 14 ans de prison contre Mamadou Aliou Keïta et Cece Raphael Haba, et de 15 ans de prison contre Ibrahima Camara (Kalonzo), Aboubacar Diakité (Toumba), et Paul Mansa Guilavogui.

10. Les victimes recevront-elles des réparations ?

En vertu du droit international, les victimes ont droit à des réparations.

Étant donné que les juges peuvent statuer sur les demandes de réparation présentées par les parties civiles, une question majeure a été celle du type de réparations judiciaires que le tribunal pourrait accorder.

En droit guinéen, les mesures de réparation envisagées concernent les individus (par opposition aux communautés) et prendraient la forme d’une indemnisation et d’une restitution. Les personnes condamnées peuvent être tenues d’indemniser leurs victimes pour des dommages résultant du préjudice subi (une indemnisation). La personne condamnée peut également être tenue de rétablir la victime dans la situation où elle se trouvait avant le préjudice subi (une restitution).

Compte tenu de l’ampleur et de la nature sans précédent du procès, ainsi que des difficultés budgétaires qui sont les siennes, il n’est pas certain que d’autres formes de réparation puissent être accordées – notamment la possibilité de réparations collectives et symboliques, telles que des commémorations et des hommages aux victimes – ou que les mesures de réparation prévues par la loi guinéenne puissent même être ordonnées.

Dans leurs plaidoiries, quatre avocats des parties civiles ont demandé au tribunal de tenir les prévenus collectivement responsables à hauteur de deux milliards de francs guinéens (environ 230,000$) pour la mort de quatre victimes, d’un milliard et demi de francs guinéens (environ 172, 500$) pour viol, torture, enlèvement et détention illégale, et d’un milliard de francs guinéens (environ 115,000$) pour les personnes blessées.

Un cinquième avocat des parties civiles a demandé l’octroi de trois milliards de francs guinéens (environ 345,000$) à 87 personnes affectées par l’assassinat ou la disparition d’un membre de leur famille. En outre, les avocats ont demandé deux milliards de francs guinéens pour chacune des 137 victimes identifiées de viols et violences sexuelles, un milliard de francs pour chacune des 500 victimes de coups et blessures volontaires, deux milliards pour chacune des cinq victimes de tortures et un milliard pour chacune des 13 victimes de pillages.

Le tribunal pourrait en principe ordonner des réparations à l’encontre des prévenus, mais s’ils ne disposent pas des fonds nécessaires, un fonds d’indemnisation pourra être créé. Un Comité de pilotage mis en place par les autorités guinéennes pour aider à l’organisation du procès a été mis à contribution pour créer un fonds d’indemnisation des victimes et rechercher des financements.

Le Fonds au profit des victimes (Trust Fund for Victims, TFV) de la Cour pénale internationale (CPI) pourrait fournir un soutien technique - entre autres choses - sous la forme d’une formation aux juges qui seraient chargés de statuer sur les demandes d’indemnisation dans le cadre du procès du massacre du stade.

Au-delà des réparations qui pourraient être ordonnées dans le cadre du procès, le ministère guinéen de la Justice travaille à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un programme de réparations plus étendu pour toutes les victimes de violations graves des droits humains en Guinée depuis 1958, notamment les violences sexuelles. Ce type de réparations est connu sous le nom de réparations administratives, vient compléter les réparations ordonnées dans le cadre de la procédure judiciaire. Le soutien technique de TFV viserait à garantir que toutes les réparations ordonnées dans le cadre du procès du massacre dans le stade soient correctement intégrées aux réparations administratives potentielles. Le Fonds Mondial pour les Survivants (Global Survivors Fund, GSF) soutient le ministère guinéen de la Justice, notamment en élaborant un cadre législatif approprié.

11. Le jugement peut-il faire l'objet d'un appel ?

Les accusés et les parties civiles ont le droit de faire appel dans les quinze jours qui suivent la fin du procès. Le Procureur dispose d’un délai de deux mois pour interjeter appel. Selon la loi guinéenne sur la procédure pénale, un appel du Procureur pourrait conduire à la confirmation ou à l’infirmation totale ou partielle du jugement. L’appel des parties civiles peut également aboutir à la confirmation du jugement ou à son annulation dans son intégralité.

12. La population guinéenne suit-elle le déroulement du procès et comment est-elle informée de son évolution ?

Selon des avocats, les victimes, les médias et les membres du public sont autorisés à assister au procès, bien que des laissez-passer du ministère guinéen de la Justice aient parfois été exigés à l'avance.

Le procès est diffusé en direct quotidiennement à la télévision guinéenne et est également disponible sur YouTube. Les audiences sont largement suivies et débattues, et un diplomate a décrit le procès comme un moment « captivant pour la nation ». Le radiodiffuseur public RTG a installé ses régies de télévision et de radio à l’intérieur du tribunal et une équipe travaille collectivement à la retransmission de chaque audience. Le procès n’est pas retransmis intégralement à la radio, mais des résumés des débats sont diffusés en français et dans les langues locales selon un journaliste qui couvre le procès. La presse écrite rend compte des faits marquants des audiences dans de courts articles et sur les réseaux sociaux. Certains journalistes ont reçu une formation dispensée par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme pour les aider à couvrir le procès.

Certains avocats ont qualifié le procès d’« hypermédiatisé », car chaque minute en est retransmise avec une très large couverture des débats. Les défenseurs de la justice, les journalistes et les observateurs du procès ont noté que sa retransmission pourrait permettre à la Guinée de tirer les leçons de son passé, sensibiliser aux besoins judiciaires du pays et améliorer la confiance dans le processus judiciaire guinéen.

Un avocat a déclaré à Human Rights Watch que l’étendue de la couverture médiatique présentait des avantages, mais aussi des risques pour la sécurité des individus étant donné la très large diffusion des noms et visages de ceux qui prennent publiquement la parole en tant que victimes et témoins. Cette large diffusion d’informations a également alimenté les théories sur qui devait être déclaré coupable ou innocent, ce qui risque de créer une pression sur les juges qui président l’affaire, selon un autre avocat.

Malgré l'importante couverture médiatique du procès et retransmission du procès, aucune action de sensibilisation n'a été menée à ce sujet. Les programmes de sensibilisation comprennent des discussions et d'autres échanges avec les communautés les plus touchées par les crimes sur les questions clés et les acteurs du procès afin d'améliorer la compréhension et la sensibilisation. Cela représente une occasion manquée d'assurer une compréhension et un impact maximums du procès sur les Guinéens ordinaires.

Le procès s’est achevé le 26 juin 2024, avec plus de 100 enregistrements d’audiences publiés sur Internet. Les progrès dans ce procès sont importants et les enregistrements devraient être archivés en toute sécurité et traduits en anglais et dans d’autres langues le cas échéant. Cela pourrait permettre d’assurer un accès élargi du grand public à ces archives, pour que ce procès puisse être étudié et inspire les bonnes pratiques dans d’autres procès pour crimes graves à travers le monde.

13. Que s’est-il passé pendant la phase d’instruction de l’affaire et pourquoi a-t-elle duré sept ans ?

Au cours de la phase d’instruction qui s’est ouverte le 8 février 2010 et a duré jusqu’en 2017, un collège de trois juges d’instruction a entendu les témoignages de plus de 450 victimes et membres de leur famille, mis en examen des suspects, et interrogé des suspects et des témoins, y compris des responsables et des membres des services de sécurité. La constitution de partie civile a permis d’inclure dans l’enquête de nombreuses informations provenant des victimes et de leurs familles.

Les progrès de l’enquête ont été très lents et inégaux, en partie à cause des contraintes de ressources sans doute liées à un manque d’engagement du gouvernement guinéen de l’époque, dirigé par le président Alpha Condé, premier président démocratiquement élu du pays, à faire en sorte que les responsables rendent des comptes, et à l’hésitation apparente des juges à prendre des mesures concrètes en l’absence d’un soutien sans équivoque de la part de la branche exécutive du gouvernement guinéen.

A un moment donné, il a fallu plus d’un an pour que le collège judiciaire obtienne les fournitures de base, l’équipement et les moyens de transport pour que les juges puissent faire leur travail. Les principaux responsables impliqués dans les crimes et les suspects inculpés, à savoir Moussa Tiégboro Camara et Claude Pivi, sont également restés à des postes au sein du gouvernement, où ils auraient pu potentiellement influencer l’enquête au lieu d’être mis en congé.

Le 9 novembre 2017, le collège de juges guinéens a conclu sa phase d’instruction et a renvoyé l’affaire en jugement à Conakry. Plus de 14 suspects ont été inculpés, notamment des responsables de haut niveau, actuels et anciens. Le renvoi a été confirmé en appel.

Deux des personnes inculpées seraient décédées avant le début du procès. L’un d’eux est le général Mamadouba Toto Camara, alors numéro deux du CNDD, et l’autre est le colonel Sambarou Diamakan, alors commandant du camp militaire Alpha Yaya.

14. Pourquoi a-t-il fallu attendre cinq ans après la fin de l’enquête pour l’ouverture du procès ?

Une fois l’enquête terminée, la justice guinéenne a tardé pendant cinq ans à engager un procès. 

En avril 2018, le ministère de la Justice – sous la direction de Cheick Sako – a publié un décret mettant en place un comité de pilotage chargé de l’organisation pratique du procès, notamment de sa sécurisation et de son financement. Ce comité est composé d’acteurs nationaux et internationaux, parmi lesquels figurent des représentants du ministère de la Justice, de la police et du Procureur général de Guinée, ainsi que du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, de l’Union européenne, des États-Unis et de la société civile.

Dès sa première réunion, le comité s’est concentré sur l’identification d’un emplacement pour la tenue du procès, sur la sécurité des magistrats et des parties, et sur les questions budgétaires. Néanmoins, le comité a eu du mal à décider d’un lieu et d’une date pour le début du procès. Ce comité, censé se réunir une fois par semaine, ne s’est réuni que par intermittence et a parfois passé des mois sans se réunir. Le comité a apparemment eu des discussions interminables sur certains points, notamment celui de savoir si une nouvelle salle d’audience était nécessaire ou si le procès pouvait se tenir dans les locaux existants du tribunal.

Au fil des mois et des années, les associations de victimes ont critiqué le manque de volonté politique du gouvernement du président de l’époque, Alpha Condé, de mener à bien ce procès, et les organisations de défense des droits se sont inquiétées du fait que les questions relatives à l’organisation du procès étaient devenues un prétexte pour éviter qu’il ne commence. Parallèlement, l’implication croissante du gouvernement Condé dans de nombreuses violations des droits humains a soulevé des questions plus larges sur le respect des droits et l’avancement de la justice en Guinée.

Le 5 septembre 2021, des officiers de l’armée guinéenne ont renversé le gouvernement Condé. Ils étaient dirigés par le colonel Mamady Doumbouya, qui est toujours au pouvoir. Doumbouya a manifesté son soutien pour que justice soit faite pour les crimes du 28 septembre 2009 et a assisté à la commémoration du massacre en 2021. Dans le même temps, Doumbouya lui-même a indiqué qu’il fallait que la construction du nouveau bâtiment du tribunal soit achevée pour que le procès puisse commencer.

En juillet 2022, Doumbouya a signalé que le procès devrait s’ouvrir avant 2022, treizième anniversaire des crimes. Cela semble avoir motivé d’importants préparatifs de dernière minute pour respecter la date limite.

15. Quel rôle la Cour pénale internationale a-t-elle dans la promotion du procès pour ces crimes ?

Le 14 octobre 2009, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale a annoncé que la situation en Guinée faisait l’objet d’un examen préliminaire, phase au cours de laquelle la Cour évalue s’il y a lieu d’ouvrir une enquête. Le ministre guinéen des Affaires étrangères a indiqué à la CPI que la Guinée était « capable et désireuse » d’assurer la justice pour les crimes de septembre 2009 par le biais de ses tribunaux nationaux et qu’une enquête de la CPI n’était donc pas nécessaire.

La CPI a poursuivi un solide programme d’activités pour aider à garantir la justice pour les crimes de septembre 2009 et semble avoir été un facteur majeur pour encourager les progrès au fil du temps. L’approche du Bureau du Procureur a été caractérisée par un suivi étroit des progrès et un engagement actif et concret auprès des autorités guinéennes, renforcé par des rappels spécifiques et publics qu’une enquête de la CPI se poursuivrait en l’absence de justice au niveau local. Des visites régulières dans le pays – axées sur l’évaluation des progrès de l’enquête et l’encouragement des avancées – ont été le principal, mais non le seul, moyen de mise en œuvre de la stratégie.

Les représentants du gouvernement guinéen, les activistes de la société civile et les observateurs internationaux ont tous souligné que la CPI jouait un rôle essentiel dans les progrès réalisés au niveau national dans cette affaire.

Le Procureur de la CPI a assisté à l’ouverture du procès, après quoi le Bureau du Procureur de la CPI a clôturé son examen préliminaire. Dans le même temps, le Bureau du Procureur a signé un protocole d’accord avec la Guinée, où il se dit prêt à « travailler activement et en collaboration » avec les autorités guinéennes pour que les responsables des crimes du 28 septembre répondent de leurs actes.

Le mémorandum stipule également que le Bureau du Procureur peut reconsidérer sa décision de ne pas ouvrir d’enquête « à la lumière de tout changement significatif de circonstances, y compris l’imposition de toute mesure susceptible d’entraver de manière significative le déroulement ou l’authenticité des procédures judiciaires liées aux événements du 28 septembre 2009 ». La CPI continue de suivre l’évolution du procès, notamment dans le cadre de deux visites en Guinée en 2023 et 2024, afin d’évaluer les progrès accomplis et de contribuer de manière décisive à la bonne conduite et à la conclusion du procès.

La CPI devrait poursuivre son étroite collaboration pour mettre en œuvre son mémorandum d’accord avec la Guinée même après le prononcé du verdict (voir la question 18 ci-dessous).

16. Quels efforts d’autres acteurs, en dehors de la CPI, ont-ils entrepris pour favoriser la mise en œuvre de la justice pour les crimes commis en Guinée ?

Outre la CPI, une série d’acteurs internationaux et nationaux ont contribué à l’ouverture du procès. Ils ont suivi sur plusieurs années les progrès et obstacles que ce procès a rencontrés et ont insisté sur la nécessité de rendre la justice pour les crimes du 28 septembre 2009 par une combinaison d’encouragements, de pressions et de soutien financier.

Dans les mois qui ont suivi les crimes, la Commission d’enquête internationale sur la Guinée a fourni de la documentation sur les abus, identifié des personnes devant faire l’objet d’une enquête et recommandé que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme établisse une présence en Guinée. Le conseil des droits de l’homme des Nations Unies a souligné la nécessité de rendre des comptes pour les crimes du 28 septembre et a prévu l’ouverture d’un bureau du Haut-Commissariat en Guinée, ce qui a permis de faciliter l’assistance aux juges chargés de l’enquête.

Le Bureau de la Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit et son équipe d’experts chargée de la question de l’état de droit et des violences sexuelles commises en période de conflit ont joué un rôle particulièrement important, en soulignant à plusieurs reprises l’importance de l’obligation de rendre des comptes pour les crimes du 28 septembre, en fournissant des conseils techniques aux acteurs judiciaires impliqués dans le processus de justice depuis 2012, en effectuant de multiples visites dans le pays et en mettant à disposition un expert international pour soutenir les efforts de justice.

Les organisations non gouvernementales guinéennes et internationales, notamment les associations de victimes, ont joué un rôle central dans les progrès de l’enquête sur le massacre du 28 septembre, les viols et les autres abus en se portant partie civile. Des groupes nationaux et internationaux, dont Human Rights Watch, ont également plaidé en faveur d’un soutien accru du gouvernement à l’enquête nationale.

17. Y a-t-il d’autres enquêtes ou procès en cours pour les mêmes crimes en Guinée ?

En novembre 2023, cinq autres suspects, accusés par Toumba Diakité d’avoir participé aux crimes jugés, ont été arrêtés.

Le parquet a inculpé le colonel Bienvenue Lamah, l’ancien directeur régional de la gendarmerie de Conakry, pour complicité d’assassinat, d’enlèvement, de meurtre, de viol et de coups et blessures volontaires dans le cadre du procès du massacre du stade de 2009. Son acte d’accusation a été rejeté devant la chambre d’instruction de la cour d’appel en janvier 2023. Le parquet a alors contesté ce non-lieu devant la Cour suprême qui, à son tour, a renvoyé l’affaire en février 2024 devant ses chambres réunies. Le 16 février 2024, les chambres réunies se sont prononcées contre Bienvenue Lamah et ont renvoyé l’affaire devant les juges d’instruction. Les juges d’instruction décideront ensuite s’il y a lieu de classer l’affaire ou de renvoyer Bienvenue Lamah en jugement, afin qu’il rejoigne les 11 accusés dans le procès du massacre du stade de 2009.

Les quatre autres accusés sont le colonel Jean Louis Kpogomou, ancien préfet de Koubia et directeur par intérim de l’École nationale de la gendarmerie, le lieutenant-colonel Georges Olemou, membre de la brigade régionale de la gendarmerie de N’zérékoré, le lieutenant-colonel Jacques Sagno et l’adjudant Thomas Touaro. Jacques Sagno et Thomas Touaro sont tous deux membres du Bataillon Autonome des Troupes Aéroportées (BATA). On ignore encore si les poursuites engagées contre ces quatre suspects aboutiront.

18. Comment les acteurs internationaux peuvent-ils soutenir la Guinée dans sa poursuite des initiatives de justice ?

La Guinée, ainsi que les entités internationales et régionales qui ont encouragé les progrès dans la poursuite de la justice en Guinée ont un rôle important à jouer pour continuer à maximiser les perspectives d’une justice équitable et crédible pour les crimes du 28 septembre.

Poursuite des encouragements, de l’assistance et de l’examen de la situation : La CPI devrait poursuivre son examen de la situation après le verdict, notamment en ce qui concerne un éventuel appel et le processus de réparations le cas échéant, ainsi que les questions de sûreté et de sécurité, y compris s’agissant de la protection des victimes et des témoins, en particulier en continuant à effectuer des visites régulières pour s’assurer que la Guinée respecte les engagements pris dans le cadre du mémorandum d’accord.

D’autres instances internationales, notamment les Nations unies, l’Union africaine (UA), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union européenne et les États-Unis, devraient encourager la poursuite des initiatives en matière de justice pour les crimes graves commis en Guinée. Des diplomates ont parfois considéré qu’il était délicat ou trop difficile d’insister sur l’obligation de rendre des comptes. Cependant, l’expérience a montré que les risques liés au fait de ne pas donner la priorité à la justice pour les crimes graves sont trop élevés pour être ignorés. L’impunité persistante pour les violations des droits humains en Guinée a alimenté les abus et entravé le développement du pays.

Les autorités guinéennes devraient élaborer et mettre en œuvre un programme de réparation pour toutes les victimes de graves violations des droits humains commises dans le pays, notamment les violences sexuelles. La conclusion du procès et le prononcé d’un verdict ne signifient pas que les efforts visant à obtenir une justice complète, crédible et équitable pour les victimes des crimes du 28 septembre devraient prendre fin. Des réparations devraient pouvoir être demandées même après le prononcé d’un verdict. La CPI et les partenaires internationaux de la Guinée devraient continuer à encourager l’avancement de ces initiatives et suivre de près les progrès réalisés dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme de réparations.

Garantir des ressources adéquates pour les demandes de réparations : Le Comité de pilotage du procès du massacre du stade constitue un outil important pour résoudre les problèmes de financement qui pourraient remettre en cause la mise en œuvre des réparations.

Assistance technique : Les procès pour crimes graves sont complexes et nécessitent une expertise spécialisée. Celle-ci peut comprendre de la formation sur des domaines spécifiques du droit et de la pratique juridique liés à des affaires impliquant des crimes graves, notamment des crimes sexuels et basés sur le genre, de l’assistance technique pour la mise en œuvre de dispositions législatives relatives à la protection des victimes et des témoins, des programmes de réparations, voire des exhumations médico-légales dans le cas d’existence de fosses communes. L’UA, la CEDEAO, le gouvernement des États-Unis, l’UE, la CPI et l’ONU devraient aborder avec les responsables guinéens la question de l’aide qui pourrait être apportée et offrir une assistance technique et soutien lorsque c’est jugé utile.

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